D’habitude lorsqu’on on raconte une histoire, notre histoire, il nous suffit de commencer par notre naissance pour marquer un début à notre vie. Je préfère considérer, que l’on ne commence à vivre que lorsqu’on commence à aimer. De ma naissance à mon adolescence, j’ai évolué dans le même monde que vous, coloré par les fantaisies de l’enfance, cette douce innocence qui malheureusement fini par se perdre avec le temps. Je me souviendrais toujours de la première fois que j’ai aimée. Je veux dire véritablement aimée quelqu’un.

Je voyais la vie comme la voit un enfant. Colorée, magnifique, remplie de mystères et de surprises. Avide de découvrir ce monde qui me tendait les bras. J’avais du recul sur les personnes qui m’entouraient et je ne m’étais véritablement jamais attachée. Mon enfance ? Qui se soucie de savoir que ma mère ne s’intéressait pas à moi et que je n’ai jamais vécu avec une présence masculine constante ?

Certains prétendent que l’amour vous tombe dessus par hasard. Et ils ont raison. J’avais seize ans quand c’est arrivé. Nous étions une bande d’amies, des filles exclusivement, différentes sur de bien nombreux points mais jamais au grand jamais nous n’aurions pu vivre séparées. Mais pourtant c’était ce qui allait devoir se passer. Notre bande allait se fragmenter en plusieurs morceaux. Certaines rejoindraient les bancs de l’université et d’autres patienteraient encore une année, cette fois-ci en 12ème grade. Mais on s’en foutait. Après tout on était jeune et le début de l’année pointait son nez, il nous restait bien des mois avant de devoir sombrement se dire adieu. A l’époque je n’étais pas quelqu’un qui tombait facilement amoureuse, pour dire, j’étais un bourreau de travail. J’avais quelques copains, sans grande importance. Je faisais la fête, je buvais, je vivais sans réellement me souciais des autres. Entourée et protégée par mes amies, je me sentais folle et insouciante. J’avais tort.

Elle et moi on a jamais été très proche. Je veux dire on ne se détestait pas, mais c’était pas non plus le grand amour. En réalité, on agissait comme si l’autre n’existait plus ou pas vraiment. Ca ne nous empêchait pas de rire ensemble ou de passer du temps toutes les deux quand on avait rien à faire, mais ça s’arrêtait là. Je ne pourrais jamais dire quand cela à vraiment commencé. Je sais juste qu’on a commencé à se rapprocher imperceptiblement, sans en avoir conscience. Quand vous êtes ados, vous avez l’habitude de témoigner votre amour, purement amical, à vos amis et ça ne fait pas de vous un couple où je ne sais quoi. Mais avec elle c’était différent. Chacun de ces gestes, comme chacun des miens, n’étaient pas si insouciants. Je ne réalisais pas ce qu’il m’arrivait et comment le pouvais-je ? Comment me dire que j’étais en train de craquer pour une simple fille de ma classe ? Pendant un an, on s’est déchirée, on s’est rabibochée, on s’est tenue la main, on a marché ensemble, on a ri, on a pleuré. Et elle est morte.

La vie est belle jusqu’à ce qu’on commence à aimer. C’est comme si le monde entier ne voulait pas vous voir heureuse. Comme si l’univers avait décidé qu’il fallait vous apprendre à souffrir. Ca vous arrive comme une claque. Vous savez quand vous ouvrez une boîte de chocolat et que personne ne vous dit à quoi ils sont ? Vous choisissez un des chocolats qui vous paraît être le meilleur, vous le tournez et le retournez inlassablement et enfin vous en croquez un bout. Que vous recrachez aussitôt. Votre gorge se serre, vous n’arrivez plus à respirer et alors que vous agonisez seul sur le plancher, vous réalisez que ce chocolat, ce petit moment de bonheur que vous venez de croquer, se révèle être une cacahouète. Et vous êtes allergique à l’arachide. La mort de Claire était mon arachide.

Ils disent qu’on finit par oublier la douleur et tout le reste. Mais comment peut-on oublier quand on a le sentiment d’être incomplète ? Comment peut-on tourner la page quand tout ce qu’on aurait voulu dire et faire ne peut plus être dit et fait ? Je sais que j’ai des problèmes, je sais comment les résoudre mais je sais que je ne pourrais jamais les résoudre. Et tous les psys du monde n’y changeront rien. Avec le temps, la douleur finit par s’atténuer. C’est comme si on vivait avec la moitié d’un cœur. J’aimerais que le temps passe plus vite. Je sais que c’est égoïste, mais j’aimerais oublier son odeur, son visage, tout le temps passer enlacer à ne rien dire. C’est comme si en partant, elle avait pris la meilleure partie de mon être et que je n’avais d’elle que des photos et des souvenirs.

Quelques mois après sa mort, j’ai quitté la ville. J’ai coupé court avec cette ancienne réalité qui était la mienne. L’ancienne Beth a été effacé pour être remplacée par une copie, plus heureuse. Du moins en apparence. J’ai été façonnée par ma mère pour être une vendeuse dissimulée hors pair, cachant ma peine sous le maquillage. Et quand enfin j’ai été prête, Folkstone m’a ouvert les bras.

Mettre deux de ses doigts dans la prise et essayer de ressentir quelque chose à nouveau. On m'a conseillée de l'oublier elle et notre semblant d'histoire. Mais si on vous demandait d'oublier ce que vous venez de vivre, alors c'est comme si on vous demander d'oublier d'aimer. D'oublier votre cœur qui bat la chamade, la douce pression de ses lèvres contre les vôtres. La sensation de ses bras se refermant délicatement sur vous. Maintenant regardez-moi dans les yeux et dites-moi, pourriez-vous vivre sans cela ?

L'amour est un cercle vicieux. Au début on vit comme si on allait mourir demain, on se crée une multitude de souvenirs de peur d'oublier les anciens, les yeux rivés vers l'avenir on se dit qu'il est temps de faire des projets. Puis l'autre vous quitte. Les souvenirs sont trop nombreux pour penser à autre chose et le temps trop lent pour faire tout oublier. Piégée dans le présent vous tâtonnez. Parce que vous n'avez plus l'énergie pour vous battre trop occupé à ressasser le passé. Elle est partie. Le monde vient de perdre de ses couleurs et vous vous rendez enfin compte que l'homme est con.

Certains ont besoin d'un nouvel amour pour oublier l'ancien. Moi il m'a juste fallu un passe-temps. Quelque chose qui me permettrait d'avoir l'illusion que le temps passe tellement vite que les souvenirs s'effacent. Son visage devient de plus en plus flou dans mon esprit. La peur de ne plus me rappeler des détails finit par disparaître. Le calme recommence et mon monde reprend doucement vie. Jusqu'à ce qu'un nouvel incident vienne tout gâcher.

Loin de Miami, les problèmes deviennent aussi légers que les nuages qui traversent lentement le ciel bleu de Folkstone. C'est comme si en changeant d'endroit, je changeais de souvenirs. Les anciens cultivaient la mémoire, la peur de ne pas se souvenir des erreurs de leurs pères et ainsi de les refaire avaient pris le pas sur l'amertume. Notre génération oublie dans la drogue et l'alcool, le goût amer de la déception amoureuse sur les lèvres.


Vendre un idéal à votre voisin, tel est ma mission, je vends les produits que vous achèterez demain et que je jetterai aujourd'hui. Vivre dans le mensonge est autant une malédiction, qu'un cadeau divin. À force de vous enfermer dans vos mensonges, il vous arrive de ne plus distinguer ce qui est vrai et ce qui est faux, votre cerveau créé les souvenirs tout seul, refluant au fin fond de votre inconscient tous ce qui fait mal.
Mais la vérité refait toujours surface. Pas d'exception fasse à la faucheuse de la mythomanie. Et c'est des années après, alors que vous pensiez vivre heureux. Que cette grosse salope fout tout en l'air.